Quel avenir pour les boutiques physiques de luxe ?

La question quel avenir pour les boutiques physiques est, depuis quelques années, un marronnier. Cette information qui revient chaque année presque à la même période. Essayons de faire le point sur l’avenir des boutiques physiques et la part du digital dans le commerce.

Avec 23% d’augmentation des ventes en ligne, les marques de luxe ont su tirer leur épingle du jeu lors des différents confinements. Ce n’est pas une surprise. Leur niveau de digitalisation est très bon, leur parcours client maitrisé et l’expérience client souvent excellente. Mais pour continuer à séduire leur clientèle, les boutiques physiques doivent désormais inventer ce que sera la boutique du futur. Alors quel sera l’avenir des boutiques physiques ?

Le Covid-19 a imposé un confinement dont les deux conséquences notables sont le télétravail et le boom des commandes en ligne (voir rapport 2021 de la FEVAD). Cette modification des relations au travail et en partie des habitudes d’achat a provoqué plusieurs manquements.  Une perte de relation sociale et donc de partage et le contrôle de l’accès (voire l’interdiction pour certains d’entre eux) à certains commerces. A tel point que certains que nombre de commerçants se sont demandé s’il y avait un avenir pour les boutiques physiques. Ou si le covid venait de sonner le glas du magasin physique au profit d’un tout digital prôné par certains.

Ces situations contraignantes, tant du point de vue social qu’économique, ont été compensées par des outils numériques pratiques et nécessaires. Ainsi la visioconférence et l’achat en ligne sont devenus prépondérants. Si la vie de bureau reprend au rythme des phases de déconfinement, faut-il croire pour autant à la généralisation de la vente en ligne ? La disparition des boutiques « non essentielles » est-elle une fatalité ? Ou ne faut-il pas, au contraire, réinventer la boutique du futur afin que les marques conservent toute leur attractivité ? La situation de l’industrie française du luxe par exemple est, à ce titre, préoccupante, car elle est étroitement liée au transport aérien, aux différentes Fashion Week  et à l’activité artistique, tous directement touchés par cette crise mondiale qui remet en question la notion de lieu d’échanges.

La nécessité de repenser le lien commercial

Avec le confinement, les boutiques ont donc perdu non pas de leur attractivité, mais de leur accessibilité. La marque de luxe Burberry par exemple avait anticipé l’adoption de techniques de ventes modernes dès 2006 : Angela Ahrendts, qui en était à l’époque P-DG, et Christopher Bailey, le directeur de la création, ont eu l’ambition de transformer cet emblème de la mode anglaise en marque 100% digitale. L’architecture intérieure de la boutique de Londres intégrait des éléments comparables à ceux de la page Web pour obtenir des informations. Une révolution dans cette vieille maison et institution restée figée dans ses codes où je me souviens sur Londres avoir vu pendant des années des « vendeuses » au garde à vous en attendant que vous les interpeliez (…) J’ai bien dis au garde à vous, mains sur la couture du pantalon.

Avec le Covid-19, on assiste au transfert de l’expérience client en magasin à sa version en ligne grâce à la réalité augmentée avec Google Search : visualisation d’un foulard, d’un sac ou de tout accessoire depuis son domicile, assortie de son association avec un vêtement… Pour autant, cette modernité n’a pas empêché les bénéfices de Burberry d’être divisés par trois au premier semestre 2020 et le chiffre d’affaires de baisser de 31% sur un an.

Selon le dernier rapport mondial sur le marché du luxe du cabinet Bain & Company, cabinet dont je vous recommande les publications et études depuis des années, l’impact de la crise sanitaire a réduit le marché de 23% par rapport aux résultats de 2019, et ce en dépit d’un doublement des ventes en ligne (12% en 2019, 23% en 2020) – preuve que l’achat en magasin reste essentiel. D’ailleurs, les indices de reprise se remarquent déjà en Chine (45% de croissance sur l’année) grâce au réseau de boutiques qui animent le marché local des néo-millionnaires.

Suggérer une nouvelle expérience dans la boutique

La boutique fut, au temps du « Bonheur des dames » d’Emile Zola, le point de rencontre des pérégrinations urbaines le plus prisé des Parisiennes. Au comble du désir commercial et de la fascination esthétique, le langage populaire en retint l’expression « lèche-vitrine ». En franchir la frontière signifiait accéder à une matérialité d’exception. Après maintes hésitations alimentées des conseils avisés des vendeurs, on emportait l’emballage marqué du sceau d’authenticité, témoin de l’odyssée passant soit par le 13, rue de la Paix (Cartier), le 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré (Hermès) ou la rue Cambon (Chanel). Comment la boutique pourrait-elle disparaître ? Le luxe ne saurait se diffuser depuis un entrepôt en bordure d’autoroute. Il faut une origine aux choses. Cela se construit et s’entretient par la communication et le marketing, à l’instar du story-telling ou story-doing de plus en plus immersif et incluant fortement des notions de RSE.

La marque de haute joaillerie consciente que les BRIC (pour Brésil, Russie, Inde et Chine, acronyme remplacé en 2011 par BRICS, à la suite de l’adhésion de l’Afrique du Sud) portent l’extension du domaine du luxe, rend hommage à ces pays à travers ce film. Elle y dévoile en parallèle aux nouvelles générations l’univers de la marque, au travers des pérégrinations d’une panthère en joaillerie soudainement réincarnée, qui s’échappe de sa vitrine parisienne. Ce film publicitaire évoquait les liens commerciaux remontant au XIXe siècle et suggérait aux clients « millenials » des BRICS de suivre l’animal iconique jusqu’à son retour, la place Vendôme.

Au-delà de la possession de l’objet, il y a également une culture à acquérir. Ce ressort du sensible est en fait travaillé par toutes les marques du luxe d’après les clichés sur le glamour parisien et le raffinement des savoir-faire. Cette alchimie permet à deux catégories de luxe de fonctionner : le « matériel » (sac, bijou..) et « l’expérentiel » (first class, limousine, palace…). Ce dernier autorise l’expérience de l’odyssée qui se termine invariablement à la source de la création : la boutique éponyme. Hélas, en 2020, les palaces parisiens ont été aussi désertés que les restaurants étoilés. La location de limousines pour les défilés de mode ou les premières des musées a été quasiment nulle, réduisant d’autant les possibilités d’accès à des lieux sélects. Donc s’il y a un avenir pour la boutique physique il sera nécessairement sur d’autres bases et modes de fonctionnement.

Vers un luxe plus responsable et éthique 

La demande de luxe éthique est en forte croissante. Une vraie prise de conscience de la clientèle. 30 à 40 % des consommateurs de luxe rechercheraient à consommer du luxe éthique et considèrent désormais l’éthique comme un critère d’achat déterminant. Pour que le plaisir soit complet la marque doit montrer son engagement éthique afin de déculpabiliser l’acheteur d’un plaisir onéreux et coupable. Le dernier article du magazine The Conversation en fait l’éco (lire l’article).

Renforcer l’attractivité du réel sur le virtuel

Un film du réalisateur américain Ernst Lubitsch rappelle l’intérêt d’éprouver des émotions en lien avec le monde réel, de construire sa sensibilité et ses goûts dans un rapport au vécu – soit tout le contraire de la substitution qu’offre l’illusion des situations virtuelles. En 1940, « The Shop Around the Corner » (« Le magasin du coin de la rue», en français) met en scène deux employés d’une boutique de maroquinerie, qui s’apprécient difficilement alors qu’ils échangent par « petites annonces » une correspondance amoureuse anonyme. Ce blog épistolaire, bien avant l’ère du digital, finira par les rapprocher et les deux âmes sœurs se rencontreront… dans la boutique. C’est très mignon non ? ?

Cette victoire du réel sur le virtuel s’illustre par la récente distinction internationale attribuée à l’agence Terres rouges pour sa scénographie de la boutique Dior des Champs-Elysées (prix Versailles 2020 de l’architecture & du design) et par les travaux d’embellissement (qui doivent durer jusqu’en 2022) du flagship Cartier, situé au 13, rue de la Paix, à Paris. Ces projets architecturaux prétendent renforcer l’attractivité de la boutique, en exposant la mode dans un lieu historique à haute valeur touristique. Le déplacement du Nike Store sur l’avenue des Champs-Elysées fait également partie de cette stratégie. Fini les Nike Town de Londres où j’ai passé quelques heures je dois l’avouer (…). Rebaptisée « House of Innovation », cette boutique s’intègre dans un quartier du luxe et en reprend les codes, tout en se tournant vers la modernité : accueil personnalisé au Sneakers Lab et gestion de l’achat par iPhone. La vitrine consacrée au modèle Air Max, sorti en 1987, fonctionne comme une timeline et expose la genèse d’une innovation d’un produit emblématique, comme Hermès le propose depuis longtemps aux clients VIP dans son historique atelier-sellerie du 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

La fin du second confinement semble porteuse d’espoir pour l’avenir des boutiques. En effet, si l’on en croit Anne Besson (alors directrice de Lego France et interrogée par BFM TV début novembre), 70% des personnes interrogées sur le site Internet de la marque de jouet de construction attendaient impatiemment d’y retourner. Horizon du désir des ex-confinés, la boutique, espace du business, s’apparente désormais à un espace de liberté à reconquérir et, pour celles du luxe, à un oasis de tranquillité socialement distinctif dans la ville fourmillante.

Adopter l’expérience version digitale 3.0

Federica Levato, coauteure de l’étude du cabinet Bain prédit que l’industrie du luxe évoluera vers « le marché de l’excellence culturelle et créative » et que « les marques gagnantes seront celles qui iront de l’avant en s’appuyant sur l’excellence déjà existante, tout en réinventant le futur avec un état d’esprit innovant. » Déjà dans l’entre-deux guerres, quand la Parisienne se passionnait pour les sports, Lucien Lelong, Jean Patou et Schiaparelli aménagèrent un « corner » de leur boutique dédié à la mode sport, tout en conservant leurs codes marque. Le « lieu de mémoire », boutique atelier, est l’atout maître des enseignes centenaires parisiennes, dès lors que leurs créateurs accompagnent les goûts de l’époque.

Il adviendra aux boutiques de notre décennie de proposer des prestations en conformité avec l’usage des technologies nouvelles, dans lesquelles se reconnaissent les générations Y et Z. La réalité augmentée d’un essayage, l’expérience en immersion, l’écran tactile procurent la sensation d’agir sur l’environnement et le produit, pour répondre au désir d’accessibilité immédiate et à la vanité commerciale de la personnalisation de l’objet ou de la prestation exclusive.

En avril 2019, Le Bon Marché innovait avec des animations « geek mais chic » pour du shopping 3.0. Grâce aux techniques digitales (imprimante 3D, vidéo mapping, hologramme interactif), chaque client s’appropriait un produit en agissant sur l’univers de la marque désirée. De son côté, Dolce & Gabbana inaugurait, le 14 novembre 2020, depuis son site une visite essayage agrémentée d’une extension shopping. Cette pratique du « see now, buy now », ordinaire lors des défilés, compense les frustrations du confinement. Mais il manquera la sensation du toucher des tissus, le plaisir visuel du tombé d’une étoffe, la qualité de l’accueil, la discrétion du conseil… soit une immersion dans le réel de « la boutique au coin de la rue », celle de nos habitudes ou de nos souvenirs.

Tout cela correspond aux pratiques des « HENRY » (pour « High Earners, Not Rich Yet »), qui goûteront avec joie les espaces dédiés (salons privatisés, postes d’informations numérisées, espace avec un musée éphémère…) dans les boutiques séculaires dont les archives et les collections patrimoniales peuvent alimenter aussi bien le visuel des vitrines que le virtuel des tablettes. Pour attirer à Paris les « henry » asiatiques, réservoir de la croissance du luxe, et les sortir de leur zone de confort limitée actuellement à la commande à distance, la gestion du big data et l’I.A permettant de déterminer les profils clients, sera fondamentale dans l’activation des nouvelles odyssées vers l’Europe. Le premier achat en « distanciel » doit déclencher une alerte du big data et envoyer des informations sur les événements culturels parisiens en relation avec l’univers des marques favorites. Ainsi, défilés ou visites-conférences d’une exposition consacrées à une marque doivent s’inscrire dans l’imaginaire raffiné de ceux qui peuvent s’offrir les matérialités luxueuses et les services premium d’un tel périple.

Autre levier: la nostalgie des Millenials

La nostalgie n’est pas une mode, c’est un sentiment qui s’épaissit avec l’âge. Le marketing d’Adidas l’a bien compris avec la Stan Smith, idem pour celui de Fiat avec la 500. Relookés ou présentés en édition vintage, des objets ont repris forme provoquant une douce régression chez ceux qui les ont expérimentés, ou une sensation d’intemporalité (et donc de modernité) chez les nouveaux acquéreurs. Il ne faut donc pas s’inquiéter pour les générations Y et Z, qui ont déjà vécu l’arrachement d’un passé avec le film « Toy Story », des studios Pixar, illustration de la fin de l’enfance par la perte des jouets, supports matériels d’un paradis perdu. La réédition des premiers jeux vidéo atteste de cette logique commerciale qui s’appuie sur une histoire du produit appréciée des jeunes d’aujourd’hui. Les chiffres des intentions d’achat de l’enseigne Joué Club en témoignent.

Leur frénésie de modernité passera, et ils referont un jour le voyage à l’envers qui les ramènera dans la boutique aux souvenirs des années 2020-2021. Depuis l’invention des loisirs sous le Second Empire, ceux qui veulent affirmer leur position sociale accèdent au circuit distinctif de la consommation de prestige en passant du lounge de l’aéroport de Roissy (quelques souvenirs…) réservé aux détenteurs de la carte Frequent Flyer Air France, aux salons privatisés des enseignes de la place Vendôme à Paris (et non plus, comme par le passé, par le restaurant Le Train bleu de la gare de Lyon à Paris)

Alors, quel avenir pour les boutiques physiques de luxe ? Un bel avenir vous l’aurez bien compris. Surtout si les marques poursuivent leur volonté pédagogique d’expliquer leur savoir-faire, de s’adapter à la transition numérique, voire au virage éco responsable, pour renouveler leur clientèle, en jouant sur les ressorts sensibles de la tendance et de la nostalgie.

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