LUXE : les marques doivent rester sélectives

Attaquées de toutes parts, en particulier par les plateformes d’e-commerce comme Amazon, les marques de luxe sont confrontées à un dilemne. Doivent-elles, oui ou non, accepter de vendre leurs produits au plus grand nombre, via des canaux qui n’ont plus rien de premium ?

Il n’y a pas de marque de luxe ou premium sans distribution sélective. La distribution sélective est ce système de distribution par lequel un fabricant ne vend ses produits qu’aux seuls revendeurs qu’il a sélectionnés, en fonction de critères objectifs de caractère qualitatifs tout en leur interdisant de les revendre à des revendeurs non agréés. Les critères de sélection visent à assurer que les espaces de vente – qu’ils soient on line ou off line- soient en totale cohérence avec l’image du créateur, son aura, ainsi que ses produits. Au plus près du client, c’est l’espace de vente qui met en scène la marque, son offre et personnalise les services et l’expérience client à la hauteur de ce qu’il est en droit d’attendre d’elle. C’est pourquoi la distribution sélective est autorisée dans le droit commercial de tous les pays, ce qui permet la mise en oeuvre mondiale d’une stratégie de valeur par les marques de luxe ou les marques premium.

Un système pérenne

La distribution sélective est un système pérenne car il a su s’adapter à l’évolution des marchés, des canaux de distribution et des attentes des consommateurs. Ainsi, il peut comprendre des espaces de vente aussi variés que des détaillants multimarques indépendants (c’est le cas des HBJO – Horlogerie Bijouterie Joaillerie Orfèvrerie), des points de vente membres d’une chaîne intégrée mondiale (comme Sephora pour les produits de parfumerie cosmétique et beauté), des corners dédiés dans les grands magasins, des boutiques d’aéroport ou de navire duty-free ou duty-paid et, bien sûr, des sites des distributeurs et des sites internet multi enseignes créés spécialement pour satisfaire les exigences des marques de prestige (comme Farfetch, Rent the Runway, Yoox, Vente-Privée.com…).

Ce système est néanmoins soumis en permanence à des contestations de la part de nouveaux acteurs disruptifs comme les chaînes de discount qui veulent se donner une image attractive, de prix les plus bas, grâce à des produits iconiques du luxe. Aujourd’hui ce sont les plateformes d’e-commerce généralistes, non agréées, qui frappent à la porte, désireuses d’accroître leur leadership sur ce marché et leur puissance, en ajoutant le luxe à leur catalogue on line déjà vaste. Dans les deux cas, cela revient à accéder aux produits de marques de prestige par des revendeurs non agréés. Toutefois, si la plateforme d’e-commerce n’est que prestataire de service à l’égard du détaillant agréé et n’apparaît pas aux yeux des consommateurs de façon visible, cette formule est compatible avec un système de distribution sélective.

Amazon débouté

En décembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt dans une procédure impliquant Coty d’une part, le numéro un mondial de la parfumerie, et Amazon, le leader de la vente via internet en Occident. La question était de savoir si Coty était en droit d’interdire à l’un de ses revendeurs agréés de vendre sur une plateforme tierce, en l’occurrence Amazon, cette dernière opérant de façon visible à l’égard des consommateurs. En première instance, un tribunal allemand avait considéré que cette interdiction était contraire au droit de la concurrence. Mais Coty ayant fait appel, la cour d’appel a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne, qui a conforté la parfumerie sélective en validant l’interdiction faite par Coty à ses revendeurs agréés de vendre sur Amazon. Cette décision a eu un écho bien au-delà de l’Union européenne, un site spécialisé américain d’informations sur le marché du luxe titrant : « Coty a gagné une bataille, mais Amazon n’a pas perdu la guerre ».

Quel est le message envoyé par cet arrêt ? Les fabricants n’ont pas à craindre que certaines nouvelles formes de distribution mettent un terme à la distribution sélective. Avant Amazon, la même problématique s’était déjà posée avec Leclerc et eBay. Et demain certainement avec Alibaba ou son concurrent JD, le premier distributeur chinois ? En revanche, à titre individuel, chaque marque doit s’assurer qu’elle pratique de manière rigoureuse la distribution sélective. Au risque sinon de se mettre en danger. La distribution sélective ne supporte en effet pas de demi mesure. A ce titre, une marque ne peut exiger de bénéficier de la protection du système de distribution sélective sans réellement le mettre en oeuvre. Or, du fait de la croissance exponentielle du marché du luxe, soit de façon géographique, soit via les extensions de produits, la distribution sélective peut être fragilisée par les marques elles-mêmes, en particulier si leurs revendeurs, partenaires ou licenciés locaux ne la mettent pas vraiment en oeuvre.

Chanel n’a qu’une licence dans le monde

Quelles raisons pourraient conduire les marques de luxe à ne pas plus être assez vigilantes quant à leur distribution sélective ? En premier lieu, la difficulté de convaincre leurs partenaires locaux, ou encore les licenciés, de la mettre en place. Chanel n’a qu’une seule licence dans le monde, pour ses lunettes : celle de Luxottica, le leader mondial dans la fabrication et la distribution de montures de lunettes. Cela conduit la marque à être présente dans des chaînes de distribution très grand public comme Atol. L’autre raison tient à ce que les partenaires locaux refusent de payer les coûts qui découlent d’une distribution propre à la marque, par exemple via une force de vente dédiée. La troisième raison d’une perte de cohérence dans la distribution sélective est la difficulté de faire accepter par une chaîne de distribution que la marque effectue une sélection au sein de ses propres points de vente. La chaîne aura beau jeu d’avancer que son concept commercial étant homogène, tous ses points de vente doivent être agréés par la marque.

Pour éviter ces relâchements qui menacent les marques de luxe dès lors qu’elles s’étendent dans plus de pays, plus de circuits, via plus de produits licenciés, deux précautions sont à prendre : il faut « vendre » la distribution sélective à ses partenaires en démontrant son intérêt stratégique partagé, mais aussi proposer des formations approfondies, de manière répétée, pour enseigner très concrètement aux équipes locales quels sont les critères de sélection des revendeurs, qu’ils soient on line ou off line.

Si la distribution sélective est consubstantielle aux marques de luxe et haut de gamme, elle nécessite une vigilance permanente. Revendiquer une distribution sélective sans la pratiquer est dangereux pour la pérennité de la marque, car en relâchant l’attention portée à chaque point de vente où l’on peut trouver ses produits, la marque réduit l’écart d’image qui existe entre elle et les acteurs disruptifs de la distribution. Ce qui fragilisera son argumentation lorsqu’elle mettra en avant  que l’image de l’enseigne de distribution est trop éloignée de la sienne. Pour prouver qu’il y a bien un écart d’image, elle mènera un sondage auprès des consommateurs pris comme arbitre pour dire si oui ou non il y a une compatibilité entre la marque et sa présence chez un distributeur on line ou off line qui le sollicite. Si la marque n’a pas été assez vigilante dans sa distribution sélective, cet écart risque de ne pas être à la hauteur de ses espérances, fragilisant de fait sa défense. L’avenir de la distribution sélective est entre les mains des fabricants. Il l’a toujours été et le reste encore plus aujourd’hui.

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Un article du magazine HBR – Chronique de : Xavier Derville et Jean-Noël Kepferer

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